20 ans chez les baleines

18/11/2017

TROIS, DEUX, UN....Face au vent déchaîné de la côte, l'avion pose ses roues sur la piste d’atterrissage de Puerto Madryn. Les hôtesses de l'air nous ouvrent l'escalier sous sa croupe et une seconde plus tard nous y sommes: aux portes d'entrée de la Patagonie. Autour de nous, des plaines à perte de vue, peuplées d'une végétation basse répartie au hasard. Nous déposons nos sacs de randonnées décrassés dans le coffre du taxi et filons en direction du centre ville, et de la plage. Top départ d'un week-end 100% gaulois sur la piste des manchots, entre baleines, belotes et guanacos.

Nous profitons de la fin de journée pour célébrer nos retrouvailles avec l'Océan Atlantique, sans trouver le courage d'y plonger nos orteils. Secoués par le vent marin, Margot photographie les nuages, quand Maxime cherche des bouts de bois pour offrir à Lucile, en pleine partie de "va chercher-reviens" avec nos quatre nouveaux compagnons canins. A bonne distance des pattes mouillées que je surveille du coin de l’œil, je me contente d'un joyeux ramassage de coquillages. Soudain, alors que nous entamons le chemin du retour, une bande nuageuse épaisse se rapproche à toute allure de la côte, dissimulant peu à peu la mer. Le vent passe la deuxième, le thermomètre plonge et nous nous empressons de rejoindre notre Air B&B au cœur de la petite station balnéaire. Au menu du soir, pâtes carbonara maison, accompagnée d'incroyables cubes de comté récemment arrivé de la mère patrie, et d'un verre de vin rouge, choisi par Max, notre œnologue en herbe. Une dernière partie de cartes sur les grands tubes des années 80 et nous filons rejoindre Morphée. Une longue journée nous attend demain.

Armés de notre quart d'heure de retard français, nous décollons en début de matinée du centre-ville, la Ford K aux mains du chauffeur. Environ deux heures trente plus tard, nous débarquons à Punta Tumbo, territoire des manchots. Adorables petits êtres de cinq kilos, la majorité d'entre eux nous dévoilent juste leur tête, avachis dans plusieurs centaines de terriers où ils couvent leurs œufs. Au fur et à mesure de notre avancée, quelques uns sortent se dorer le plumage au soleil, nous coupant la route sans scrupule. Les plus courageux filent piquer une tête sans s'éloigner de la côte, les éléphants de mer rodant déjà à la recherche de leur déjeuner. Émerveillés par ces créatures à la démarche amusante, nous prenons le temps d'entamer la conversation et d'apprendre à les connaître jusqu'en milieu d'après-midi.

En fin de journée, nous rejoignons Puerto Madryn, les cheveux emmêlés par le vent, les yeux attendris et l'estomac bien rempli par notre choripan. L'heure est à l'apéritif face à la mer, les cartes en main. Tout en se goinfrant de cacahuètes, Lucile et moi sortons grandes vainqueures d'une fantastique partie de kems à sens unique.

Au troisième jour de notre épopée, nous reprenons la route en direction de la réserve naturelle de la péninsule Valdés, où doit nous attendre le clou du voyage. La carte tenue à l'envers, et les yeux tournés vers la plage, Lucile prend plus au sérieux son rôle de DJ que de copilote. Céline Dion et les Beatles rivalisent en décibels avec les graviers de la piste. Les sourires ne se font pas prier au sein de cette équipe qui fonctionne à merveille.

Nous avons choisi de longer la côte par la piste, qui ouvre sur quelques plages près desquelles les reines de l'océan choisissent parfois de mettre bas en septembre, selon le guide du Routard. Une vingtaine de kilomètres plus tard, nous nous arrêtons au second mirador. La tête à droite, la tête à gauche, et soudain, à plusieurs kilomètres de là au bord de la mer, nous apercevons une grosse tâche noire. Une baroudeuse habituée de l'observation nous l'assure : "C'est une baleine ! "

Nos yeux ébahis ne font qu'un tour et nous filons à toute allure reprendre la route vers le Nord, cap sur la tâche noire. Quatre kilomètres plus loin, nous déposons la Ford dans le sable, et entamons un sprint entre les dunes, les yeux rivées vers LES tâches noires. Encore seuls sur la plage, nous découvrons ahuris deux, puis, quatre, puis six majestueux baleineaux qui nagent dans notre direction. Les regards croisent les sourires surexcités, un spectacle incroyable s'ouvre devant nos yeux. Très joueurs ce matin-là, les mammifères lèvent leur queue, font des roulades, chantent et respirent à la surface, à vingt mètres de nous. Ahuris par notre chance inouïe, mes trois compagnons de route commencent à se poser des questions sur la fidélité de leurs âmes sœurs respectives. Peu à peu, de nouveaux paparazzis nous rejoignent et nous restons encore de longues minutes, jusqu'au départ des baleines.

La température a grimpé depuis la veille, et nous troquons notre k-way pour un maillot de bain, avant de reprendre la route. Hey Jude, les cheveux aux vents, les yeux brillants de gratitude, la vitesse, le soleil sur les vagues en bas de la falaise. La connivence qui s'installe dans l'air. Nous la tenons, l'image du roadtrip dont nous avons tous rêvé en lisant Sur la route, à 17 ans. C'est délicieux, fabuleusement euphorisant.

Après un dernier arrêt paysage en haut d'une falaise, nous arrivons finalement à l'entrée de la réserve et filons directement prendre notre zodiac sur la plage de Puerto Piramides, le seul pâté de maisons de la réserve. Les gilets de sauvetage sur le dos, nous embarquons de nouveau sur les traces des baleines. Environ trente minutes plus tard, nous nous arrêtons en mer tout près d'une femelle et de son bébé, qui frôlent le bateau tanguant. Le tableau est de nouveau très (é)mouvant lorsqu'une mince partie de leur corps apparait à la surface, de la longueur de la moitié du bateau. Si cette excursion ne vaut pas notre découverte de la matinée, elle est conçue pour permettre d'observer les mammifères à coup sûr, et en constitue un bon complément. Sur la route du retour, les premiers éléphants de mer dévoilent leur bronzage.

Pour clore cette journée marine, nous découvrons l'Antares, l'une des plus anciennes bières artisanales d'Argentine - et la meilleure que nous ayons goûté - en terrasse d'un modeste bar de la seule rue du village. Les cartes sont jetées, et une bonne stratégie s'impose pour notre interminable belote. Chacun tente de se souvenir des précieux conseils donnés par nos grands-pères, alors que nous n'étions pas encore plus hauts que la table. Des recommandations que nous avions intérêt à respecter à la lettre. L'équipe orléanaise remporte la manche, et nous rejoignons notre Air B&B à la lumière de nos téléphones à la nuit tombée, après avoir engloutie une bonne pizza dans un restaurant local.

Le soleil est déjà levé sur le quatrième jour de notre périple quand nous reprenons la route. Au programme de ce dimanche, le tour de la péninsule à la recherche de nos derniers compagnons à pattes, à plumes et à nageoires. Nous commençons par l'observation des lions et des éléphants de mer, adorables saucisses pesant jusqu'à plusieurs tonnes, qui alternent entre bains de pieds et siestes au soleil. Plus à l'aise dans l'eau que sur la terre ferme, nous restons un moment à observer ces créatures amusantes.

Nouvelle rencontre à la sortie de la cafateria où nous avons englouti notre choripan. Un tatou ! Paisible mais suffisamment rapide pour qu'on ne l'attrape, il continue sa route entre les petites jambes d'enfants amusés. Dernier objectif et point d'orgue de notre album : les orques. Nous débutons l'après-midi sur un sentier côtier et nous arrêtons contempler l'océan. A peine dix minutes s'écoulent avant que Lucile ne s'écrit : "La-bas, il y a un orque ! ". L'intéressé nous offre deux nouveaux sauts à l'horizon avant de disparaitre. Nous n'en revenons pas. On nous avait informé que nous n'étions pas au meilleur moment de la saison pour les animaux...

Nous continuons notre tour du territoire vers d'autres spots d'éléphants de mer, où les gardes-côtes nous en expliquent davantage sur leur mode de vie et leur morphologie. Les observer ainsi dans leur milieu naturel, extrêmement paisibles, protégés, et suffisamment éloignés de l'homme pour garantir leur tranquillité, questionne assez brusquement mon opinion sur les zoos. Sans nous laisser envahir par ce débat, nous le gardons tous dans un coin de notre esprit.

Finalement, le garde-côte nous informe qu'il y a une heure environ, plusieurs orques chassaient aux abords d'une plage que nous avions déjà arpentée. Sans aucune certitude sur leur présence, nous décidons de tenter d'y retourner. Et c'est une nouvelle bonne pioche, puisqu'ils sont de nouveau six majestueux prédateurs à roder autour de l'enclave où vivent les éléphants de mer. Nous nous frayons un œil au milieu de la petite trentaine de paparazzis et les observons sauter deux par deux au dessus de la mer.

Sur le chemin du retour, nous croisons à la suite une troupe de guanacos, dont deux d'entre eux nous coupent la route, un renard gris, des vaches, des chevaux ainsi qu'un émeu et ses quatre petits. Nous quittons la réserve conquis par cette tranche de la Patagonie, qui nous a révélée tous ses secrets et offerte tout ce qui en fait son charme. Nous nous offrons le soir notre premier plat de poisson depuis plus de quatre mois. Minuit sonne. J'ai 20 ans.

Au petit matin, Margot, Lucile et Maxime ouvrent le petit déjeuner sur Happy Birthday. Pour la première fois, je m'allonge sur la  plage un 13 novembre, avant d'arpenter les quelques boutiques de Puerto Madryn avec les filles, qui m'offrent une délicieuse glace artisanale sur le chemin. Le soir, nous choisissons un bar pour l'occasion. Entre parties de cartes et confidences, les heures s'écoulent dans cette ambiance Irish. Une soirée paisible comme on les aime, où le rire et la bienveillance sont les maîtres mots.

Lorsque l'avion nous ramène à Buenos Aires le lendemain, je n'ai pas très envie de rentrer. Au-dessus des nuages, je jette un coup d’œil à nos photos. 20 ans sur les pistes ensoleillées de Patagonie, à 10 000 km de chez moi, mon premier spectacle de baleines en arrière plan. Pas très loin du rêve.





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